Dans le judaïsme, la tradition du chant liturgique remonte aux temps bibliques. C'est par contre dans la Diaspora que le chant profane a acquis une ampleur et surtout une diversité liée aux influences culturelles et musicales des divers peuples avec lesquels les communautés juives ont été - de gré ou de force - en contact. Associée à la poésie, la musique séfarade est restée le témoin privilégié de l'étrange aventure des Juifs de la péninsule ibérique qui connurent successivement la tolérance, le succès, les persécutions et l'expulsion. Malgré la dispersion et l'acculturation, les Juifs ont su préserver la langue et les valeurs culturelles spécifiques de leur judéité.
Séfarade est un mot hébreu signifiant "Espagne". Son pluriel, sfaradim, désigne les descendants des Juifs de la péninsule ibérique. A l'époque de la domination islamique sur l'Espagne (du VIIIème jusqu'au milieu du XIIIème siècle), une importante communauté y vivait. En dehors des périodes de persécutions et de conversions forcées, les juifs y étaient tolérés parce qu'utiles sur le plan économique et ils participèrent - avec les musulmans et les chrétiens - à une véritable symbiose culturelle et scientifique, dont sont issus de grands noms comme Maïmonide, Averroès ou Alphonse le Sage. On qualifie le XIIème siècle d'âge d'or du fait que les communautés juives ne dépendaient que du roi et jouissaient d'une grande autonomie administrative et judiciaire. Chaque centre du judaïsme espagnol, particulièrement en Andalousie (Cordoue, Grenade, Malaga, Séville, Tolède, etc...), avait son propre style poétique et sa tradition musicale spécifique.
Au milieu du XIVème
siècle, l'épidémie de peste et les
troubles
politiques eurent raison de cette tolérance. La reconquête
catholique de l'Espagne et l'obligation pour les Juifs de se convertir
mirent fin à sept siècles de cohabitation harmonieuse
entre les trois religions.
L'inquisition, instaurée au milieu du XVème
siècle, accusa de nombreux "conversos"
(convertis,
surnommés avec mépris "marranos", porcs) de ne pas avoir
totalement abandonné leur ancienne religion. Le 30 mars 1492,
moins de trois mois après la capitulation des Maures, les Rois
Catholiques Ferdinand et Isabelle signèrent un édit
laissant quatre mois à tous les Juifs pour quitter le royaume
sans emmener de biens. La plupart se réfugièrent dans
l'Empire Ottoman (Salonique, Smyrne, Rhodes, Constantinople,
Andrinople, Bosnie, Serbie, Roumanie et Macédoine), mais aussi
en Afrique du Nord (Tétouan, Tanger), en Italie du Sud, en
France (Marseille, Bordeaux) et dans le nord de l'Europe (Amsterdam).
Les expulsés d'Espagne emportèrent avec eux leur
patrimoine culturel, leur langue, leurs contes et leurs chants, source
majeure d'enrichissement spirituel, qui furent transmis, surtout par
les femmes, de génération en génération.
Durant
cinq siècles ils préservèrent leur langue, le
judéo-espagnol (également nommé, spaniol,
spanioliko, djidio, djudesmo ou encore khaketia au Maroc, Yahudice en
Turquie et Ladino), un espagnol médiéval enrichi de
termes hébraïques (à l'instar du yiddish mais dans
une moindre mesure) et, ultérieurement, de nombreux mots
empruntés aux langues des cultures de résidence (turc,
grec, arabe, français).
Les chants judéo-espagnols ont subi un cheminement analogue et
d'innombrables écrits juifs ont été
détruits sur ordre de l'Eglise, de sorte qu'il est impossible de
savoir ce qu'était exactement la musique profane
judéo-espagnole au XIVème
siècle. Si certains textes remontent bien
à l'Espagne du
Moyen-Age ou de la Renaissance (servant même aujourd'hui à
la recherche sur la littérature espagnole ! ), d'autres sont
plus récents et ont été empruntés aux
cultures et pays d'accueil ou à l'Espagne moderne par le biais
de voyageurs.
Les mélodies de ces chants ont adopté les modèles
musicaux des cultures d'accueil, contrairement à l'idée
reçue affirmant qu'elles viennent en droite ligne d'Espagne !
Ainsi, le répertoire musical des communautés juives
d'Orient (ancien Empire Ottoman, Balkans et Méditerranée
orientale) a-t-il divergé de celui des Juifs du Maroc, et ce que
nous connaissons aujourd'hui sous le terme de "chants
judéo-espagnols" est essentiellement le fruit de ce
"syncrétisme musical", de cette "incorporation créative"
de textes judéo-espagnols anciens et récents et d'une
musique essentiellement orientale. Cette complexité
géographique et culturelle distingue la musique séfarade
de celle des juifs ashkénazes, plus homogène de par son
environnement est-européen souvent hostile et dont l'essaimage
ne se fera qu'à la fin du XIXème
siècle.
Autrefois,
les ballades et romances étaient chantées dans le cadre
domestique par les femmes, a cappella ou accompagnées par de
simples percussions. Elles étaient adaptées aux diverses
circonstances de la vie : naissance, berceuse, bar-mitzva, amour
déçu ou partagé, mariage, affaires familiales,
séparation, deuil, ou encore liées au calendrier : chants
de shabbat, coplas de Purim, lamentations pour Tisha be'av, etc...
Évoquant une large palette de sentiments et d'émotions -
des plus nobles et héroïques aux plus vulgaires et
tragiques - leur style concis et d'apparence simple contient
quantité d'allusions et de sous-entendus qui n'apparaissent aux
auditeurs que grâce à une participation active. Leurs
textes forment ainsi une mosaïque éclectique où les
thèmes sacrés et profanes coexistent allégrement :
piyutim para-liturgiques, thèmes religieux, poésies
lyriques, chansons d'amour, thèmes d'actualité (p.ex.
l'incendie de Salonique en 1917), parodies, satires ou chansons
paillardes. Ces différentes formes d'un répertoire
constamment enrichi ont permis et permettent encore aux Juifs
séfarades d'affirmer leur culture particulière : juive et
espagnole.
Au XXème siècle, l'avènement des
enregistrements et la notion de "concert" ont engendré des
interprétations nouvelles, souvent masculines et
accompagnées d'instruments modernes, parfois sans lien direct
avec la tradition.
La destruction d'importantes communautés séfarades lors de la Shoah a brutalement interrompu la transmission orale traditionnelle des chants judéo-espagnols mais, à l'instar des chants yiddish et de la musique klezmer, ce patrimoine suscite depuis les années 1970 un regain d'intérêt partout dans le monde.
Michel Borzykowski
L'organisation
de ces concerts est rendue possible grâce aux soutiens
suivants :
Réservations
:
Janine Schorderet Tel.
+4122/344.64.09 - Fax +4122/344.64.04
Pour tous
renseignements ou contact :
Dann-Olivier Alfandary 20 rue
Barthélémy-Menn, CH-1205
GENÈVE +4122/320.86.28
Michel Borzykowski 12 chemin Franconis, CH-1290 VERSOIX
+4122/755.41.23