Salomone Rossi, le juif de Mantoue

Un esprit libre

à découvrir.

par Sylviane DEYMIE-BALIZET

Drôle de personnage, ce Salomone Rossi. A ne pas confondre avec d'autres compositeurs italiens à peu près de la même époque portant le nom de Rossi (comme Luigi, Giovanni Battista ou Michelangelo). Né à Mantoue le 19 août 1570, Salomone est issu d'une ancienne et noble famille juive et bénéficie de la tolérance accordée aux juifs sous le règne des Gonzague à Mantoue. Ce compositeur inventif, ayant fréquenté Monteverdi, violoniste à la chapelle ducale, maître de concert à la cour de Vincenzo I Gonzague, se situe à la croisée de plusieurs chemins. Sur le plan musical d'abord, entre polyphonie de la Renaissance et la monodie accompagnée du XVIè siècle et les prémices de l'ère baroque. Il nous offre ainsi les premiers exemples connus de madrigaux employant une basse continue et ses pièces pour violon marquèrent le développement des futures sonates baroques. Sur le plan culturel ensuite, il joue un rôle important dans l'interaction, les apports et les influences

réciproques entre la culture chrétienne de la cour de Mantoue et la culture judaïque à laquelle il appartient.

Cette dualité s'exprime parfaitement dans le titre du disque, Les deux âmes de Salomon, représentatif de l'oeuvre et de l'esprit hors du commun de Rossi. En effet, il alterne intelligemment pièces profanes (madrigaux très poétiques, pièces instrumentales raffinées) et oeuvres sacrées polyphoniques issues du recueil Ha-Shirim asher li-Shlomo ("Les cantiques de Salomon", faisant davantage référence au prénom du compositeur qu'au roi, la plupart des psaumes provenant de David), réunissant psaumes, hymnes et cantiques sur des textes en hébreu destinés à la liturgie de la synagogue de Mantoue.

Avec ce recueil, il voulut rénover le chant synagogal, notamment par l'apport de la polyphonie. Malgré son souci de simplicité d'écriture, la communauté juive fut réticente: cette polyphonie créait une difficulté d'exécution des chants pour la collectivité (nécessitant l'intervention de chanteurs professionnels) ainsi qu'un manque de lisibilité pour les textes et la prière. La carrière et

probablement la vie de Salomone s'arrêtent en 1630, l'année du sac de Mantoue par les troupes autrichiennes de Ferdinand II, où plus de 2000 juifs durent s'enfuir de la ville lors de la destruction du ghetto; année également où s'abat une épidémie de peste.

Ce florilège de pièces pour petit effectif instrumental et choral nous est révélé par l'Ensemble Daedalus, fondé à Genève en 1986, et spécialisé dans la musique du Moyen Age et de la Renaissance qui brille par son interprétation allègre et précise, aux timbres bien colorés. Il fait résonner à merveille les instruments anciens (violon, violes, flûtes), et surtout le son velouté et profond de la chitarrone, le plus grave des archiluths apparu en Italie l'année de la naissance de Rossi.

Un esprit libre à découvrir, pour le plaisir d'entendre une musique aérienne, poétique et lumineuse.

 

 

The Two Souls of Solomon

Ensemble Daedalus,

direction: Roberto Festa

56 min.

1 CD ACC 96119 D

(distribution Musidisc).

Tiré de "Réforme", hebdomadaire,

19 au 25 mars 1998

 

SALOMONE ROSSI

Les Deux Ames de Salomon

Ensemble Daedalus, Roberto Festa

Personnage fascinant, Salomone Rossi (1570-1630) est un musicien non seulement pris entre deux époques, celle de l'ancienne polyphonie héritée de la Renaissance, et celle de la nouvelle musique, la monodie accompagnée, mais pris aussi entre deux cultures, la culture juive et la culture chrétienne. Engagé à la cour des Gonzaga à Mantoue, celui que l'on surnommait l'Ebreo livrera une somme de madrigaux absolument superbe, des canzonette et de la musique instrumentale; parallèlement, il tente de réformer le chant synagogal et produit une musique polyphonique simple, mais extrêmement touchante. Son recueil Ha-Shirim asher li-Shlomo (1622) contient trente-trois pièces de trois à huit voix destinées à la liturgie juive. Roberto Festa, musicien subtil et inspiré, est le concepteur de ce disque hors des sentiers battus. La musique est bouleversante, le grain des voix absolument magnifique. Et il règne sur ce disque un indicible climat poétique.

Renaud Machart

Tiré du quotidien "Le Monde", 4 avril 98

 

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